« Abandonner son chien, ce n'est pas seulement le laisser dans un refuge. »
Je dirais même que le fait de laisser son chien dans un box grillagé, c'est la dernière étape d'un processus d'abandon qui trouve ses racines bien avant de prendre la voiture pour le déposer en refuge. Parce qu'on ne se réveille pas un matin avec l'idée saugrenue de mettre son chien en laisse pour que la destination finale soit un endroit d'où, s'il a de la chance, il repartira sans vous. Les personnes qui mettent leur chien en refuge sont celles qui ont commencé à abandonner plusieurs semaines voire même plusieurs mois avant qu'elles ne décident de s'y rendre.
L'abandon commence au moment où on se dit que les besoins du chien ne sont pas si importants que ça, que les nôtres le sont bien plus et qu'il peut largement se satisfaire d'un jardin. Parce qu'après tout, les balades, c'est embêtant, surtout après une journée de travail. Je ne parle pas de ces promenades sautées, parce que le temps est mauvais, parce qu'on est malade ou blessé. Je parle de ces chiens qui ont pour seule compagnie les quelques plantes vertes qui ornent le jardin et auxquelles il ne faut pas toucher, sous peine de se faire sermonner. Je parle de ces individus qui restent là toute la journée, à attendre que l'humain rentre pour une ou deux caresses avant qu'il n'aille se poser devant la télé.
L'abandon commence au moment où on ne se préoccupe plus vraiment de son état de santé. Quand on se dit que « oh oui, ses oreilles sont un peu sales, c'est pas si grave » là où une otite lui fait bien mal depuis plusieurs semaines. Quand on le voit boiter en se disant que « ça peut encore attendre », là où ça fait déjà quelques jours que la boiterie persiste. Quand on sait qu'un souci de santé est présent mais qu'on ne veut pas mettre de l'argent dans un traitement. Un chien qui a des soucis médicaux doit être vu par un(e) vétérinaire, tout comme nous allons chez le docteur quand quelque chose va mal. Ce n'est pas parce qu'il ne se plaint pas qu'il ne souffre pas ou qu'il ne vit pas une situation inconfortable jour après jour.
L'abandon commence au moment où on ne l'appelle plus par son prénom, on l'appelle brièvement « le chien » quand on parle de lui mais sans grande conviction. A peine un regard, une attention. Relayé au placard, « le chien » regarde mais se résigne face à l'humain qui l'ignore. Il est dans la maison dans une cage ou dans le jardin devant la baie vitrée, à attendre qu'on daigne lui offrir un moment de qualité. C'est ce chien qui saute et qui salit, ce chien qui aboie et qui s'ennuie. C'est aussi ce chien qu'on a choisi et qui pourtant se satisfait d'une demi-vie.
L'abandon commence au moment où on ne l'aide jamais face à des situations difficiles au quotidien. Quand on le laisse se faire harceler par l'autre chien du foyer en se disant qu'il « faut les laisser communiquer ». Le jour où il répond, ça se finit en point de suture chez le vétérinaire et on dit alors qu'on ne comprend pas pourquoi d'un coup c'est la guerre. C'est lui qu'on choisira de séparer du reste du foyer sans même penser que l'humain est à l'origine des problèmes de ceux qu'il fait cohabiter. Quand on laisse des ressources en libre service là où l'un des deux les protège en les volant à l'autre et soudain, un conflit éclate. « Je n'ai rien vu venir » sont en fait des mots qui signifient parfois « je m'en moquais jusqu'à ce que ça impacte ma propre vie ». Quand on laisse l'enfant venir lui faire un bisou lorsqu'il dort dans son panier et que surpris, le chien mord. Facile de dire que c'est la faute de celui qui réagit.
L'abandon commence au moment où on sait que des solutions existent mais qu'elles ne sont pas mises en place. Quand un chien aboie fortement en laisse pour éloigner ce qu'il craint et que rien n'est fait pour l'aider à s'apaiser. Quand il y a mésentente au sein du foyer mais qu'on laisse couler. Quand on appelle un(e) professionnel(le) pour se valider dans ses croyances, pour confirmer sa décision sans rien vouloir remettre en question. Quand on n'aménage rien de son quotidien pour combler ses besoins. Quand on choisit le déni face à des problématiques grandissantes jusqu'à ce qu'elles atteignent un point qui ne permet plus de les gérer dans l'environnement quotidien. Quand on choisit les méthodes les plus violentes pour faire taire un comportement parce qu'on manque de patience.
Lorsqu'un chien est emmené au refuge, c'est la phase finale de ce processus d'abandon qui aurait pu être évité. Il aurait pu ne jamais avoir lieu en se formant avant même de prendre la décision d'acheter ou d'adopter un chiot ou un chien adulte. Il aurait pu ne jamais avoir lieu en prenant conscience de ce que signifie le poids d'une vie, le bouleversement de l'arrivée d'un chien au sein de sa famille. Il aurait pu ne jamais avoir lieu en accordant de l'importance aux besoins du chien et à sa communication, en accordant son mode de vie à ces derniers.
Alors avant même d'accueillir un chien chez vous, qu'il soit chiot ou chien adulte, qu'il vienne d'un élevage ou d'une association, formez-vous. Prenez conscience d'à quel point il vous faudra aménager votre quotidien. Un chien n'est pas un objet décoratif qui ira bien avec votre canapé, il n'est pas la énième case à cocher entre « acheter une maison », « avoir un enfant » et « se marier ». Si vous renseigner sur l'espèce que vous choisissez d'intégrer à votre foyer ne vous intéresse pas, si prendre en compte un individu canin pour ce qu'il est ne vous tente pas... Alors n'en accueillez pas.
Il y en a plein, derrière les grilles, à avoir subi des abandons progressifs. De ce chien qui vivait dans le jardin sans interaction à ce chien qui vivait sur un balcon. De ce chien qui se retrouvait isolé quand l'enfant est né à ce chien qui a déclaré une maladie difficile à soigner. De ce chien qui a subi la séparation de ses humains à ce chien qui vivait seul au quotidien. Alors avant même de penser à en accueillir un, réfléchissez, réfléchissez bien. Il ne s'agit pas de votre seule et unique vie mais aussi et surtout de celle d'un être qui n'a rien demandé et qui se retrouvera, peut-être encore cet hiver, dans le froid à attendre qu'un regard se pose sur lui. N'oubliez pas qu'un chien est un engagement à vie et que l'abandon commence quand on se laisse le choix de ne pas le tenir.
© Toutougether - Nicoline Droogmans
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